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Polymorphes
Polymorphes
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15 juin 2009

Michael Matthys. Repas avec des dieux de tout bord.

L'oeuvre de Michael Matthys est un buffet auquel on prend part avec des dieux méconnus et  anthropomorphes. C'est une itinérance presque immobile ; le périple d'un autochtone, étranger dans son propre pays ; un chant aphone dans le bruit de la ville et des usines ; une éponge qui absorbe les faits et gestes automatiques de la machine humaine ; un enregistrement silencieux dans un univers tissé d'automatismes ; un déferlement de graphite, une pluie de matière organique sur la ville ; une circulation incessante à laquelle on prend part, inévitablement...

Enquête solitaire : « Moloch »

Au départ, Michael Matthys a eu mission de tisser avec les sujets de la machine industrielle, antédiluvienne. Explorateur sans agent, sans commanditaire ; il écrit et dépeint alors « Moloch », publié par les éditions Frémok en 2003, et plonge dans le gouffre, presque sans fond, des usines sidérurgiques de Cockerill Sambre, en y rencontrant ses acteurs de première main : les ouvriers et intendants de cette machine immensurable. Au coeur des ténèbres, au fond des abysses, il sonde le coeur brutal et immémoré de notre société mécanisée (aujourd'hui informatisée).

Sa manière de procéder est simple : muni d'un appareil photographique, il pénètre le lieu, suit son guide, et imprime sur la pellicule chaque pas, chaque mouvement qui l'incitent à s'enfoncer plus profondément dans ce monstre mécanisé, laissant les espaces démesurés et sans pitié se déployer sous son regard ; tout en saisissant la simplicité des échanges humains qui s'y tissent.

Plus tard, de retour chez lui, investi alors d'un travail solitaire, il grave et imprime cette rencontre avec les ouvriers et dépeint ces grands espaces, bientôt imaginaires. La lumière, symbole de cette force de travail, physique, en lutte avec les rebuts de la matière, se bat alors avec ces immenses plages de pénombre aussi noires que l'encre, écrasée sous sa presse1. Et les mots échangés réapparaissent alors, sur ce fond gélatineux et opaque, impénétrable. Le déluge d'images, lui-même issus d'une machine rotative, scandant le silence de l'atelier, peuplant le calme local, est ponctué de commentaires anodins, de réflexions saisies à la dérobée, de questions subreptices échangées entre ouvriers : les nouvelles réglementations, la mort d'un des leurs, les conditions de travail.

Printing Machine...

Ce n'est pas anodin si Michael Matthys fait des livres avec Frémok, éditions indépendantes nées de la rencontre des associations « Fréon » et « Amok » en 2002, constituées d'un comité de lecture qui n'est autre que la collectivité des auteurs graphiques participant à l'édition elle-même, et dont un des modus vivendi est de participer au développement de la littérature graphique expérimentale. Maison d'édition qui refuse cette appellation réductrice, puisque l'un de ses objectifs est de développer l'expérimentation quelles qu'en soient les voies : performatives, scripturales, picturale... Le travail de Michael Matthys se déploie sur du papier, sur les murs, sur des feuilles de plastique de grand format ; ses supports sont multiples et se renouvellent à chacun de ses projets. Tout peut lui passer entre les mains, filer entre ses doigts comme un liquide insaisissable qu'il ne fait que  moduler un instant ; « Je suis un ange aussi »2 en témoigne. Déluge de carbone et d'encre, gribouillage frénétique, chansonette scandée en solitaire, cette oraison dévorante est un embrasement plastique qui s'imprime sur nos rétines comme il s'est d'abord imprimé sur les pages du livret.

...sur les murs de la ville

Un cri ne signale pas à son assemblée où il va s'inscrire, sur quel support, quelle surface, à quels auditeurs il va s'adresser. De même, les traits graphiques de Michael Matthys s'étalent sur des surfaces hétérogènes inattendues, et se réfèrent à des sujets toujours plus insaisissables. Ni « bédéiste », ni plasticien, parce qu'il plane au-dessus de ces considérations réductrices et balisées, son opération tient de l'alchimie. D'encre et de pigments, ses pinceaux s'imbibent bientôt de sang et de matières organiques... Michael Matthys peint « La Ville Rouge »3, Charleroi, emportant dans ses traits, la violence, l'obscurité, les espaces publics désertés, la déambulation solitaire, le silence, les paysages capturés dans la vitesse des voyages, les rencontres perdues... Tout ce qui fait la spécificité de cette petite ville muée dans son coeur, troublée dans son antre. La ville y est engloutie par un de ses sujets. La caméra le seconde de nouveau, pour capter ce qui ne peut être fixé, avec du sang venu de sa ville, de ses abattoirs situés aux pieds du ring aérien. Transferts du support filmique vers une nouvelle sorte d'imprimé, inventés pour le projet : la ville s'anime sur de grandes feuilles de plastique trouvées chez un revendeur de matières brutes. La matière y vit pour elle-même, reprend ses droits.

Dans la grande salle du Palais des Beaux-Arts de Charleroi4, où sont accrochées une grande quantité de planches de « La Ville Rouge » du 21 mars au 21 juin (exposition « Tin Town »), il semble que les murs soient imprégnés d'une matière dont ils se déferont difficilement, et que les ébauches de Matthys continueront à s'animer, lorsque les salles seront désertées...

Annabelle Dupret

Mars 2009

in : "H-Art" # 50 04-2009"

 

ville rouge (la) - extrait2

 

1  La technique qu'il utilise alors est l'aquateinte. Travail qui suppose de définir d'abord les zones de lumières en avançant progressivement vers la pénombre, cela en recouvrant la plaque de cuivre d'une couche de résine sur les zones lumineuses, puis progressivement sur les zones plus ombragées de la planche ; celle-ci étant à chaque étape plongée dans du perchlorure de fer qui ronge la plaque progressivement.

 

2  Edité également aux éditions Frémok en 2009.

 

3  A paraître, aux Editions Frémok.

 

4  « Tin Town ». Palais des Beaux-Arts de Charleroi. 1, Place du Manège. 6000 Charleroi.

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