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Polymorphes
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25 mai 2012

"OVNIS à Lahti de Marko Turunen. Quand l’amour traverse des épisodes noirs, il en jaillit parfois des couleurs..."

Couverture


Des livres en série, un OVNI…

« OVNIS à Lahti » est la résultante de la fine collaboration entre l’auteur de bande dessinée finlandais Marko Turunen, et les éditions du Frémok. Une couverture argentée, des planches parfois fluorescentes, des noirs et blancs tranchants de haute précision, un album de près de 252 pages… Le Frémok n’a pas lésiné sur les moyens graphiques pour donner corps à ce livre. Marko Turunen avait publié cet album en Finlande sous la structure éditoriale Daada books, qu’il copilote avec sa compagne Annemari Hietanen, mais il n’avait pas encore rencontré ses lecteurs francophones. « OVNIS à Lahti », c’est la suite d'une tétralogie amoureuse (en l'état actuel, car il y a eu "Base", "L'amour au dernier regard", "La mort rôde ici", et qui sait ce qui viendra ensuite…) entre Intrus, un petit alien chétif, pour ne pas dire rachitique (personnage hydrocéphale, à l’ego et la taille démesurément petits, semblant sortir tout droit d'un désastre nucléaire...) et R-Raparegar une vamp que les obstacles quotidiens n'arrêtent pas, et qui ressemble, elle, à une super héroïne masquée, moulée dans une combinaison sensuelle de lutteuse. Un duo donc que personne n'aurait pu prévoir, et qui traverse les réalités insurmontables de la vie, le mur parfois inébranlable de leur quotidien infortuné.

OVNISALAHTI-DEF_Page_144Chaque album est une nouvelle expérience graphique. Et si son premier album de la série, « Base » était dominé par des couleurs fluorescentes, complètement décalées des réalités qu’elles pouvaient incarner, si son album « La mort rôde ici », était une aventure à lire, de la première à la dernière page, à travers un pantone métallique tout à la fois opaque et profond, alors « OVNIS à Lahti » ressemble plutôt à un désert post-nucléaire, les noirs et blancs dominent, leurs surfaces sont parfois émiettées par une sorte de pluie de cendres…

 …et une multitude de lectures fétiches

Turunen est en résistance, ses albums sont hors formats, ses narrations hors « récit unifié », ses personnages sont des héros toujours inadaptés les uns aux autres, et ses lignes graphiques changent à chaque parution : il ne répond donc pas aux attentes du marché… Tout comme, d’ailleurs son personnage fétiche, Intrus, dont les résistances sont prêtes à sauter, à tout moment comme des fusibles trop désuets et surexploités. Intrus est un lecteur maladif, lecteur dénigré par la culture dominante, puisqu’il lit des comix peuplés de super héros, des fanzines bricolés par ses amis, et non sans perplexité des annonces érotiques sur le net… Qui plus est, tout semble indiquer qu’Intrus n’atteindra jamais l’âge adulte. Que c’est un personnage avorté, atrophié, voué à ne jamais atteindre sa pleine maturité, à assumer le monde en toute connaissance de cause (1).

La résistance de Marko Turunen consiste par exemple à donner droit de cité à ses lectures de jeunesse, à les laisser pénétrer son récit par toutes les voies possibles, même les plus incongrues... Il reprend par exemple à son compte les structures des comix américains et des personnages issus de sa culture pop ; interrogeant par là-même les possibilités d’action de ses personnages. « 7 pages de pure action » annonce par exemple une couverture, alors que la page suivante montre Intrus affalé lascivement dans son lit sous des piles de BD…  De la même manière se côtoient dans son récit, comme dans la vie, des registres improbables, inadaptés les uns aux autres : des récits bibliques, un conte populaire, des cowboys… Les récits se bousculent, revendiquant tous un peu plus de véracité, les uns que les autres. Ainsi, un de ses amis lui déclare : « Tout ce qui se passe OVNISALAHTI-DEF_Page_012actuellement dans le monde est raconté dans la bible. Donc la Bible doit être véridique ». Plus tôt dans le livre, c’est un dieu aux attributs d’Hermès qui le harcèle… Dans un autre chapitre, Intrus et sa compagne se retrouvent transplantés au détour d’une promenade, dans le récit de Hansel et Gretel. La ronde n’en finit pas. Seule évasion possible de tout ce tumulte, la lecture de l’  « OVNIS Club », le fanzine qui s’intercale dans le recueil entre les divers récits, imprégné d’insouciance et de naïveté, qui traduit le plaisir jubilatoire de ses auteurs amateurs à imiter un magazine authentique, avec ses témoignages, son courrier des lecteurs, son questionnaire « Avez-vous vu un OVNI ? » à renvoyer à l’éditeur… Ce petit condensé traduisant, au-delà de la quête de véracité, le plaisir à raconter des histoires à la structure époustouflante de simplicité : un lieu, un sujet, et une action (un phénomène…).

L’amour et la mort, une « lucha libre »(2)

Dans son album « De la viande de chien au kilo », « l’agencement de certaines couleurs satur[aient] tant la rétine que la lecture en dev[enait] difficile, soulignant ainsi le caractère indicible de certaines scènes » (3), et traduisaient de cette manière la dimension insoutenable de certains épisodes vécus dans l’enfance. De manière générale, cette résistance particulière, se traduit souvent chez Turunen par l’usage de formes « de seconde zone » : des personnages et des couleurs décalés, des récits où la narration fonctionne par courte séquence… Parallèlement, se tissent des récits semblables à des carnets de bord intimes, qui traduisent le quotidien amoureux d’Intrus et R-Raparegar, écritures journalières qui leur permettent de traverser les épreuves quotidiennes, questionnement à huis-clos sur le ressort heureux ou malheureux d’une situation. Le doute est teinté de connivence amoureuse, comme en témoigne son interlocutrice vers la fin du livre lorsqu’elle dit : « Je suis sûre que le balancier de la vie repartira dans l’autre sens ».

« OVNI à Lahti » n’est pas un récit, c’est la réunion d’une somme d’albums, que le plaisir de la lecture réunit…

 

Annabelle Dupret

Paru dans Flux News - Janvier 2012

OVNISALAHTI-DEF_Page_053

(1)     A l’image peut-être du médium dans lequel il s’incarne, la « bande-dessinée », qui est loin d’être reconnue à sa juste valeur dans le milieu des arts, où celle-ci est souvent considérée comme un art secondaire, souvent « immature »…

(2)     Littéralement « Lutte Libre », catch mexicain. Selon la tradition, les catcheurs mexicains doivent porter un masque…

Carmela Chergui au sujet des couleurs de l’album « De la viande de chien au kilo » in « Farmakopé FRMK parution Juin 2009 ».

 

 

 

 

 

 

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